Ondjaki
Traduit
du portugais (Angola) par Danielle Schramm
4e
de couverture :
Une
source d’eau douce, ou une fuite intarissable, s’est ouverte au
premier étage d’un vieil immeuble délabré du centre de Luanda.
Les habitants s’y croisent. Il y a Amarelinha, la brodeuse de
perles, et le jeune MarchandDeCoquillage, toujours accompagné de
l’Aveugle, qui voit le monde à travers les odeurs. Il y a
GrandMèreKunjikise qui connaît le pouvoir des mots anciens. Il y a
MariaComForça, qui vend du poisson grillé, et son mari le
débrouillard qui monte une salle de cinéma sur le toit de
l’immeuble. Le Facteur qui réclame une mobylette pour sa tournée.
Le CamaradeMuet qui écoute du jazz. Paizinho, le jeune garçon qui
cherche à la télévision sa mère dont il a été séparé par la
guerre. Et il y a Odanato, le nostalgique qui devient lentement
transparent.
L’immeuble
abrite aussi des directeurs de ministères de passage, des
journalistes, des chercheurs, des contrôleurs, tous intéressés par
les richesses du pays et de la grande ville africaine : pétrole
ou eau potable. Corruption ou bien public.
Toutes
ces histoires picaresques ou poétiques tissent la toile de fond
d’une Angola en cours de transition brutale, de la guerre à la
corruption généralisée.
L’écriture
d’Ondjaki, entre ironie tranquille et critique intelligente,
imagination poétique et habileté narrative, emporte le lecteur
séduit dans l’aventure de cet Immeuble
Yacoubian africain.
Mon
avis :
La
littérature africaine n’est certainement pas la plus représentée
dans les vitrines de nos libraires, et c’est bien dommage ! À
l’heure où le rouleau compresseur de la mondialisation nivelle
tout ce qui se vend, même l’art est prié de passer par le moule
de la rentabilité et l’auteur par celui du consensus. Dans ce
monde aseptisé de la littérature industrielle, le roman d’Ondjaki
est une salvatrice bouffée d’air frais.
Et
quand je dis « bouffée d’air… », je devrais plutôt
parler d’un puissant souffle qui attrape le lecteur et l’entraîne
dans un tourbillon coloré, plein d’odeurs et de sons, de réalisme
et de poésie. Rarement dans un livre, j’ai eu aussi fortement
cette impression d’être parmi ces gens qui se côtoient,
s’invectivent ou se caressent de mots, se filoutent ou
s’entraident. De petites combines en grosses magouilles, du porteur
d’eau au ministre, la vingtaine de personnages qui traversent ses
pages le font avec un allant communicatif, une grâce jusque dans le
désespoir, une dignité même dans les actes les plus vils. Il faut
dire qu’ils habitent une ville au bord du gouffre, ce qui leur
apporte un genre de surplus de vie, non pas dans la durée, mais dans
la densité. Comme si un futur incertain les obligeait à vivre plus
fortement le présent. Il faut dire aussi qu’ils habitent (ou ne
font qu’y passer) un immeuble peu banal au centre de Luanda, et ce
vieux bâtiment a également son âme.
À
travers cette galerie d’êtres plus ou moins malmenés par
l’existence, Ondjaki porte un regard ironique et décalé
sur la société angolaise, relevant mille détails du quotidien,
tantôt drôles, tantôt émouvants, mais souvent empreint de poésie
et ne manquant jamais de tendresse pour ses compatriotes. On n’est
également pas loin des contes ancestraux, avec un peu de magie qui
apporte un côté métaphorique au récit. Mais ne nous y trompons
pas : sous son humour et sa poésie, Les transparents est
un texte éminemment politique. Le personnage d’Odanato qui devient
de plus en plus transparent est aussi celui que l’on regarde le
plus… Les politiques mettent en lumière ce qu’ils veulent cacher
ou interdisent l’éclipse solaire… La représentation est
partout, chacun joue son rôle à tous les niveaux de cette société
en pleine mutation, et ce que l’on voit n’est pas forcément
l’exacte vérité. La nouvelle Angola essaie de se calquer sur
l’ancienne mais ne peut la chasser… Les symboles de la continuité
sont là (l’écoulement d’eau dans le vieil immeuble, le
réfrigérateur qui ne s’éteint jamais malgré les coupures de
courant), ceux du renouveau débarquent en force, comme les frères
DestaVez et DaOutra. On retrouve cette même logique de continuité
dans la forme narrative : en début et fin, les alinéas sont
exempts de points et de majuscules, donnant au lecteur le sentiment
contradictoire d’un récit à la fois éclaté et d’une grande
homogénéité.
Ce
roman foisonnant est aéré par de nombreux et savoureux dialogues,
ce qui ajoute à l’impression d’immersion et au plaisir de
lecture. Alors, si comme moi, vous n’êtes pas parti en vacances,
prenez votre ticket pour l’Afrique avec ce roman d’Ondjaki,
vous ne serez pas déçu du voyage !
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